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I. Historique, systématique et importance de la disposition
1 Comme l’indique son intitulé, qui est pratiquement semblable dans les trois versions linguistiques, l’art. 13 traite de la constatation des résultats des votations (fédérales), en ce sens qu’il fixe quelques règles relatives à la détermination de ce résultat
2 La disposition existait déjà, en partie, en ce sens qu’elle était beaucoup plus brève, dans la version d’origine de la loi, en 1976
3 L’alinéa 2, qui traite du cas de figure de l’égalité des « oui » et des « non » dans un canton, lors d’une votation fédérale, n’a été introduit qu’une vingtaine d’années plus tard, par une révision partielle de la loi sur les droits politiques, adoptée le 21 juin 1996 et entrée en vigueur le 1er janvier 1997
4 Quant à l’actuel alinéa 3, qui régit la question du recomptage des voix en cas de résultat serré, il a été introduit encore une vingtaine d’années plus tard, par une révision partielle de la loi qui avait pour objet principal d’adapter la législation relative à l’élection du Conseil national, mais qui comportait aussi quelques autres modifications. Cette révision a été adoptée le 26 septembre 2014 et est entrée en vigueur le 1er novembre 2015
5 Le texte de l’art. 13 n’a pas subi d’autre modification. S’agissant de sa structure, la disposition se compose donc de trois alinéas. Le premier traite du sort des bulletins blancs et des bulletins nuls, le deuxième de la question d’une éventuelle égalité des « oui » et des « non » dans un canton lors d’une votation fédérale, alors que le troisième pose une règle en matière de recomptage des voix en cas de résultat serré d’une telle votation. On reviendra plus loin, dans le commentaire proprement dit (ch. II), sur chacun de ces alinéas.
6 Auparavant, s’agissant de l’importance de la disposition en général, on peut renvoyer à ce qui a déjà été dit dans le commentaire des art. 10, 10a et 11, à savoir que, compte tenu de la signification des votations populaires dans le système constitutionnel et politique suisse, avec la très forte dose de démocratie directe qui le caractérise, les règles qui régissent l’organisation des scrutins sont d’une importance fondamentale
7 Tous les cantons ont ainsi, pour leur domaine, mais sous des formes assez différentes, des dispositions analogues à l’art. 13, qui traitent du sort des bulletins blancs et des bulletins nuls
II. Commentaire
A. Alinéa 1er : le sort des bulletins blancs et des bulletins nuls
1. La signification de la règle
8 L’al. 1er, qui date de la version d’origine, de 1976, pose donc la règle selon laquelle les « bulletins blancs et les bulletins nuls ne sont pas pris en considération pour la constatation [ou, mieux : la détermination] du résultat de la votation ». Le message du Conseil fédéral expliquait comme suit la ratio legis de cette règle
« Une modification de la constitution entre en vigueur quand la majorité des votants et la majorité des cantons ont accepté le projet (art. 123 Cst.). Une loi fédérale ou un arrêté de portée générale est accepté si la majorité des votants s'est prononcée en sa faveur. La majorité déterminante (absolue) se constate sur la base du nombre des bulletins déposés qui sont valables. Les bulletins blancs et les bulletins nuls n'entrent pas en ligne de compte. »
9 Exprimée de manière plus précise, la règle de l’art. 13 al. 1 signifie donc que les bulletins nuls et les bulletins blancs ne sont pas pris en compte non pas dans la constatation des résultats d’une votation, mais bien dans la détermination de ce résultat, c’est-à-dire la détermination de la majorité, qui accepte ou qui rejette, l’objet soumis au vote, seuls étant pris en considération, à cet effet, les bulletins (non nuls) comportant un « oui » ou un « non ».
10 Il faut donc soigneusement distinguer deux choses : la comptabilisation des bulletins nuls et des bulletins blancs dans la constatation des résultats d’une votation, bulletins nuls et bulletins blancs qui doivent, comme le prescrit d’ailleurs l’art. 14 al. 1 LDP, faire l’objet, tous les deux, d’un décompte séparé figurant dans le procès-verbal de la votation
11 Comme indiqué, cette règle ne vaut que pour les votations (fédérales), et non pour les élections, pour lesquelles existent d’autres règles dans le droit fédéral
12 Si la règle de la non-prise en considération pour la détermination des résultats d’une votation est assez évidente pour ce qui est des bulletins nuls
2. Excursus : la question de la prise en compte du « vote blanc »
13 Les militantes et militants en faveur de la reconnaissance du vote blanc
14 Tout d’abord, s’il s’agit simplement de comptabiliser les votes ou bulletins blancs et d’en annoncer le nombre avec la proclamation ou la publication des résultats, la revendication n’est pas problématique. En Suisse, elle est déjà généralement concrétisée, comme on l’a vu. En effet, au niveau fédéral, la loi sur les droits politiques prévoit, aussi bien pour les votations que pour l’élection du Conseil national, que le procès-verbal indique « le nombre des bulletins blancs »
15 S’il s’agit en revanche de tenir compte des votes blancs dans l’établissement du résultat lui-même, la revendication n’est que partiellement admissible et susceptible d’être concrétisée : elle l’est sans trop de difficulté dans les élections à la majoritaire à deux tours, où il est tout à fait possible de considérer les votes blancs dans le calcul de la majorité absolue au premier tour, ce qui a pour effet de réhausser cette majorité absolue et de la rendre ainsi plus difficile à atteindre. C’est là un choix politique, que certains cantons ont fait pour l’élection de leur Gouvernement, voire de toutes les élections à la majoritaire à deux tours. C’est le cas, par exemple, du canton de Vaud
16 Il paraît beaucoup plus délicat – pour ne pas dire inadmissible – de prendre en compte les bulletins blancs dans les autres élections (à la majoritaire à un tour, où la majorité relative suffit, ou encore à la proportionnelle)
17 Il faut donc bien admettre – ce qui paraît évident – que, pour les votations en tout cas, les personnes qui votent « blanc » (ou « nul ») participent certes à la votation, mais formellement seulement, et non matériellement : leur voix peut et doit être comptabilisée comme telle, mais elle ne saurait être prise en compte dans la détermination du résultat
18 C’est d’ailleurs le cas aussi dans presque tous les cantons, avec toutefois une exception, qui mérite d’être signalée. Dans le canton du Valais, en effet, l’art. 106 de la Constitution du 8 mars 1907, qui exige, pour les révisions constitutionnelles, la « majorité absolue des citoyens ayant pris part au vote », est toujours interprété, aujourd’hui encore, comme signifiant que les votes blancs doivent être considérés comme des « non »
B. Alinéa 2 : le cas de figure de l’égalité des « oui » et des « non » dans un canton
19 Le deuxième alinéa de l’art. 13, ajouté en 1996, et que les Chambres ont repris tel quel des propositions du Conseil fédéral
« Le 2e alinéa (nouveau) vise à préciser que, si un texte soumis à la votation recueille un nombre égal de oui et de non dans un canton, celui-ci est considéré avoir rejeté l’objet. Pour mémoire, l’Assemblée fédérale, à propos des résultats obtenus par le canton de Schwyz lors de la votation populaire du 4 mai 1913 sur l’article constitutionnel relatif aux épidémies et épizooties – 1074 oui contre 1074 non –, s’était crue autorisée à déclarer résolument le résultat nul (FF 1913 III 479 et RO 29 [1913] 177 s.) alors qu’elle aurait dû s’en tenir au sens de la constitution et compter le canton de Schwyz au nombre des cantons ayant rejeté le texte. L’article 123, 1er alinéa, Cst. exige que la majorité des cantons ait accepté une révision de la constitution. »
20 La règle ou la précision ainsi ancrée dans la loi – à la suite d’une erreur, mais bien plus ancienne – de l’Assemblée fédérale
21 On rappellera par ailleurs que la situation est la même, dans les votations à la double majorité, lorsqu’il y a égalité des voix des cantons sur le plan fédéral, c’est-à-dire lorsqu’un objet soumis au vote est accepté par 11 ½ cantons et rejeté par 11 ½ cantons : dans ce cas, la majorité absolue (des cantons) n’étant pas atteinte, l’objet est rejeté
22 On rappellera enfin que la situation est différente en cas d’égalité des voix dans une élection, où un tirage au sort est souvent prévu
C. Alinéa 3 : la question du recomptage
23 Le troisième alinéa de l’art. 13 a été ajouté, on l’a dit, en 2014
24 L’idée du nouvel alinéa 3 ajouté en 2014 était donc de revenir sur cette jurisprudence et de permettre « un retour à la volonté du législateur historique » et d’ainsi « éliminer l’insécurité juridique liée à l’arrêt du Tribunal fédéral », lequel ne précisait d’ailleurs « pas la limite entre un "résultat serré" et un "résultat très serré" »
« La thèse selon laquelle un résultat serré serait assimilable à une irrégularité paraît douteuse : un résultat très serré, que ce soit au niveau cantonal ou au niveau fédéral, montre qu’un projet est très controversé. En déduire qu’il est le fruit d’irrégularités revient à méconnaître que ce sont justement les sujets très controversés qui rendent les responsables des bureaux de vote et les scrutateurs mutuellement plus attentifs aux manipulations possibles. En pareille circonstance, les médias redoublent également de vigilance. Au demeurant, il se peut très bien qu’un résultat très serré au niveau fédéral soit la somme de résultats cantonaux clairs mais très contrastés. Comment centraliser le recomptage en pareil cas ? Qui devrait y procéder et quand ? Il ne faut pas sous-estimer le personnel, le temps et la place nécessaires à un recomptage qui devrait être assuré au même moment dans toute la Suisse et dont les résultats partiels devraient être communiqués en même temps pour éviter de donner lieu à une cascade de doutes, spéculations et soupçons qui ne pourrait que déclencher de nouveaux recours. En outre, comment les cantons qui ont adopté un système de milice pour le dépouillement pourraient-ils convoquer suffisamment de personnel en très peu de temps ? A défaut, le résultat du scrutin resterait incertain pendant des semaines.
En vertu de l’art. 5, al. 2, Cst. l’activité de l’État doit être proportionnée. Le recomptage du résultat d’un scrutin cantonal serré par l’autorité fédérale en l’absence d’indices suggérant une irrégularité ne serait donc compatible avec ce principe que si le résultat était extrêmement serré au niveau fédéral également. »
25 Au vu de cet argumentaire, le Conseil fédéral précisait par ailleurs
« La Commission des institutions politiques du Conseil national n’a pas souhaité suivre le Tribunal fédéral dans sa tentative d’assimiler un résultat électoral "très serré" à une irrégularité […]. Elle tient au contraire à ce que la volonté exprimée par le législateur historique (les voix ne sont recomptées que si des indices probants suggèrent une irrégularité) soit respectée. Elle veut s’assurer qu’il en ira de même à l’avenir. Vu l’arrêt du Tribunal fédéral, l’inscription explicite de la volonté du législateur dans la loi est donc tout indiquée. A titre complémentaire, il convient de créer une base légale applicable à l’observation du bon déroulement des scrutins (cf. ci-dessous, commentaire ad art. 85 LDP) ».
26 De fait, le projet de révision de 2013 prévoyait aussi, en parallèle et en compensation, en quelque sorte, du resserrement de la règle sur le recomptage, l’introduction d’un nouvel art. 85 de la loi sur les droits politiques, sur l’« Observation des scrutins »
27 La doctrine, quant à elle, était partagée sur la question du recomptage
28 Quoi qu’il en soit, quelques mois avant l’entrée en vigueur, le 1er novembre 2015, du nouvel alinéa 3, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de se prononcer encore une fois sur la question
29 La situation est donc désormais claire, en droit fédéral, en ce sens qu’un résultat serré ou très serré n’est pas, en soi, un motif justifiant un recomptage
30 Il en va parfois différemment dans les cantons, dont certains reconnaissent un droit au recomptage en cas de résultats serrés ou très serrés, et ce indépendamment de l’existence d’indices ou de soupçons d’irrégularités. Ainsi, par exemple, l’art. 27 de la loi sur les droits politiques du Canton de Berne
31 Pour ce qui est du droit fédéral, il faut donc, pour justifier un recomptage, que l’on soit en présence d’indices ou de soupçons d’irrégularités et que la nature de celles-ci et leur ampleur aient pu influencer notablement le résultat à l’échelon fédéral. Selon la jurisprudence, les irrégularités en question sont celles qui affectent le dépouillement du scrutin et le décompte des voix, pour lesquelles il faut donc des « indices concrets d’un comptage erroné ou d’un comportement contraire à la loi de l’organe compétent »
32 S’agissant de la nature, ou de la gravité, et de l’ampleur de ces irrégularités, qui doivent être telles à avoir « pu influencer notablement le résultat à l’échelon fédéral », il faut distinguer la question du recomptage de celles de la répétition d’une votation qui a eu lieu dans une assemblée ou une Landsgemeinde, ainsi que de l’annulation d’une votation, là aussi, dans les deux cas, en raison d’irrégularités constatées
33 Pour ce qui est du recomptage, et s’agissant d’une votation fédérale, les éventuelles irrégularités doivent, comme le précise le texte de l’art. 13 al. 3 LDP, avoir été propres à influencer le résultat de la votation « à l’échelon fédéral ». En d’autres termes, même si de telles irrégularités pourraient en elles-mêmes être susceptibles de justifier un recomptage dans un canton (ou dans deux ou quelques cantons), où le résultat était par hypothèse serré, il n’y a pas lieu, selon l’art. 13 al. 3, à recomptage dès lors que le résultat est clair à l’échelle fédérale. On retrouve donc ici l’idée, déjà évoquée, de la proportionnalité : un recomptage du « résultat d’un scrutin cantonal serré par l’autorité fédérale […] ne serait […] compatible avec ce principe [de proportionnalité] que si le résultat était extrêmement serré au niveau fédéral également »
34 Il n’en demeure pas moins que cette disposition soulève une petite difficulté d’interprétation au regard de l’art. 79 LDP, spécialement des alinéas 2 et 2bis, dispositions qui sont antérieures à l’introduction de l’art. 13 al. 3 et qui traitent des compétences et pouvoirs de l’autorité de recours de première instance, à savoir du gouvernement cantonal, pour les litiges portant sur les votations. Selon l’art. 79 al. 2, en effet, qui date de la version d’origine de la loi, en 1976, « [l]orsqu’il constate des irrégularités à la suite d’un recours ou d’office, [le gouvernement cantonal] prend, autant que possible avant la clôture du scrutin de l’élection ou de la votation, les mesures permettant de remédier aux défauts constatés ». L’alinéa 2bis, introduit lors de la révision du 18 mars 1994
35 On précisera par ailleurs que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de votations cantonales, lorsque le résultat d’un vote est très serré mais que le recomptage des voix n’est pas ou plus possible, en raison de la destruction (d’une partie) des bulletins de vote, par exemple, la votation doit être répétée
36 Les voies de droit en vue d’un éventuel recomptage sont, pour une votation fédérale, celles prévues par les articles 77 et 80 LDP, à savoir un recours auprès du gouvernement cantonal concerné, dans les trois jours dès la découverte du motif de recours (mais au plus tard le troisième jour après la publication des résultats dans la feuille officielle du canton)
L’auteur remercie M. Beat Kuoni, juriste au Service des « Droits politiques » de la Chancellerie fédérale, de sa relecture attentive de cette contribution et de ses précieuses suggestions.
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