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Commentaire
Art. 220 CPC

Un commentaire de Laurent Grobéty

Edité par Lorenz Droese

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I. Introduction de la demande

A. Caractéristiques

1 L’art. 220 CPC dispose que le dépôt de la demande constitue le moment déterminant pour l’introduction de la procédure devant le tribunal de première instance

. En procédure ordinaire, la demande se caractérise par un mémoire écrit comprenant à tout le moins les conclusions de la partie demanderesse et leur motivation en fait (art. 221 al. 1 CPC)
. L’introduction d’une demande en procédure simplifiée (art. 244 CPC) détermine le début de celle-ci par l’effet du renvoi de l’art. 219 CPC
. Le CPC connait pour le surplus différents types d’actes introductifs d’instance
. En procédure sommaire, la procédure est introduite par le biais d’une requête (art. 252 al. 1 CPC). Nous pouvons encore mentionner la requête de conciliation (art. 202 CPC) ainsi que la requête commune ou la demande unilatérale tendant au divorce (art. 274 CPC). Ces actes ne sont cependant pas visés par l’art. 220 CPC qui se limite aux demandes au sens des art. 221 et 244 CPC
.

2 En tant que mémoire écrit, la demande doit être déposée sur un support papier ou électronique ; elle doit être signée (art. 130 al. 1 et 2 CPC). Contrairement à la procédure simplifiée ou sommaire (cf. art. 244 al. 1 et 252 al. 2 CPC), la procédure ordinaire ne permet pas le dépôt d’une demande orale dictée au procès-verbal

. De même, un mémoire déposé par téléfax ou par courriel ne remplit pas les exigences de forme propres à la procédure ordinaire
. Une demande déposée sous cette forme est considérée comme non introduite, ce qui ne permet pas le respect d’éventuels délais
. Lorsqu’elle est introduite sur un support papier, la demande doit être remise à la Poste suisse, au greffe du tribunal ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (cf. art. 143 al. 1 CPC). Un acte transmis sous forme électronique doit être muni d’une signature électronique qualifiée selon la LF du 18 mars 2016 sur la signature électronique (art. 130 al. 2 CPC)
. Pour le surplus, les art. 130 ss CPC sont applicables quant aux exigences formelles.

3 Le projet Justitia 4.0 aura des incidences sur les modalités d’introduction de la demande telles que décrites ci-dessus. En effet, le projet de LF sur les plateformes de communication électronique dans le domaine judiciaire (P-LCPJ), qui devrait entrer en vigueur dans le courant de l’année 2025, prévoit la mise en place d’une ou plusieurs plateformes permettant la transmission électronique de documents dans le domaine judiciaire (art. 1 al. 2 let. a P-LCPJ). Le projet apporte quelques modifications aux dispositions du CPC relatives à la forme des actes. L’art. 128c al. 1 P-CPC pose notamment le principe d’une utilisation obligatoire d’une plateforme de communication électronique pour les tribunaux et les représentants professionnels des parties au sens de l’art. 68 al. 2 CPC

. Le dépôt de la demande sur une plateforme électronique au sens de la LCPJ deviendra alors le mode usuel d’introduction de la demande en procédure ordinaire (art. 130 P-CPC).

4 Les exigences relatives au contenu de la demande sont fixées à l’art. 221 CPC pour la procédure ordinaire et aux art. 244 et 252 CPC pour les procédures sommaire et simplifiée. Il est renvoyé aux commentaires de ces dispositions.

5 Dans la majeure partie des cas, une introduction régulière de la demande est subordonnée au respect de délais. Il s’agit en général, lorsque la conciliation a été tentée, du délai fixé par l’autorisation de procéder pour le dépôt de la demande (art. 209 al. 3 et 4 CPC). En l’absence d’une procédure de conciliation préalable, d’éventuels délais pour agir peuvent résulter d’une autre loi, à l’image de l’inscription définitive d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs (art. 961 al. 3 CC) ou de l’action en libération de dette (art. 83 al. 2 LP), mais aussi du CPC lui-même en cas de validation de mesures provisionnelles (art. 263 CPC).

B. Traitement par le tribunal

6 Plusieurs possibilités s’offrent au tribunal à réception de la demande. Celui-ci dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans la conduite du procès, bien que la loi lui prescrive de garantir une certaine célérité (art. 124 al. 1 CPC)

.

7 Si le mémoire de demande présente un vice de forme réparable, le tribunal fixe un délai pour sa rectification (art. 132 al. 1 CPC). Il en va notamment ainsi lorsque l’acte n’est pas signé ou qu’il manque une annexe telle que l’autorisation de procéder ou la procuration

. Le même sort est réservé aux actes illisibles, inconvenants, incompréhensibles ou prolixes (art. 132 al. 2 CPC). Dans certaines situations, notamment en cas d’exemplaire manquant, le tribunal peut rectifier lui-même le vice aux frais de son auteur (art. 131 CPC). Rappelons finalement qu’une demande introduite dans une forme qui n’est pas prévue par la loi (p.ex. par courriel ou téléfax) est considérée comme non introduite, si bien qu’il n’existe pas de possibilité de rectification de l’acte dans un tel cas (supra no 2). Lorsque la demande reçue par le tribunal lui a été adressée par erreur, l’art. 143 al. 1bis nCPC prévoit, dès son entrée en vigueur le 1er janvier 2025, la transmission d’office de celle-ci au tribunal compétent. Dans ce cas, l’art. 63 al. 1 nCPC prévoit que l’instance est réputée introduite à la date du premier dépôt de l’acte.

8 À réception de la demande, le principe d’économie de procédure impose au tribunal de procéder à un premier examen des conditions de recevabilité

. En conséquence, le tribunal peut, déjà à ce stade de la procédure, rendre une décision finale d’irrecevabilité (art. 236 al. 1 CPC)
. Afin de limiter le risque d’une violation du droit d’être entendu, le tribunal peut aussi ordonner un échange d’écriture limité au respect de la condition de recevabilité litigieuse (art. 125 let. a CPC ; infra no 9). À noter que certaines conditions de recevabilité ne peuvent pas être examinées avant que la partie défenderesse n’ait été entendue. Tel est notamment le cas lorsque la compétence à raison du lieu n’est pas donnée, mais que la partie défenderesse accepte tacitement la compétence du tribunal (art. 18 CPC)
. Il en va de même si le litige fait l’objet d’une convention d’arbitrage (art. 61 let. a CPC). Le défendeur peut en outre, de manière expresse ou tacite, renoncer à la procédure de conciliation dans la réponse lorsque la valeur litigieuse dépasse CHF 100'000.- (art. 199 al. 1 CPC)
. Dans tous les cas, le tribunal peut choisir de limiter la procédure et la réponse à la question de la recevabilité (art. 222 al. 3 cum 125 let. a CPC).

9 Lorsque la demande n’apparaît pas d’emblée irrecevable et qu’elle n’est entachée d’aucun vice de forme, le tribunal rend les ordonnances d’instruction nécessaires à l’avancement de la procédure

. Une fois la demande introduite, le tribunal peut exiger la fourniture d’une avance de frais de la part de la partie demanderesse (art. 98 CPC). Le versement doit intervenir dans le délai fixé et, cas échéant, prolongé (art. 144 al. 2 CPC), par le tribunal (art. 101 al. 1 CPC) ; ce dernier n’entre pas en matière si la partie demanderesse ne s’est pas exécutée à l’issue d’un délai supplémentaire (art. 101 al. 3 CPC). L’art. 222 al. 1 CPC impose en outre au tribunal de notifier la demande à la partie défenderesse et de lui impartir un délai pour le dépôt d’une réponse. La question de savoir dans quel ordre le tribunal doit procéder relève de son pouvoir d’appréciation
. Sauf circonstances particulières, l’économie de procédure commande en général d’attendre le paiement de l’avance de frais avant de notifier la demande à l’adverse partie
.

10 Pour le surplus, dès l’introduction de la demande, le tribunal est chargé de la conduite du procès (art. 124 al. 1 CPC)

. Il peut alors rendre des ordonnances d’instruction en vue d’une simplification de la procédure (art. 125 CPC). Ainsi, le tribunal peut procéder à une division de causes (art. 125 let. b CPC) ou joindre la demande à un autre procès déjà pendant (art. 125 let. c CPC). Il lui est également loisible de limiter la procédure à certaines questions ou conclusions (art. 125 let. a CPC). À ce stade de la procédure, il peut s’avérer judicieux de procéder de la sorte lorsqu’il ressort de la demande qu’un problème de recevabilité se pose ou lorsque celle-ci présente des conclusions subsidiaires dont le traitement peut s’avérer fastidieux. Rien ne s’oppose selon nous à ce que le tribunal rende de telles ordonnances avant d’entendre l’adverse partie. Au contraire, c’est l’économie de procédure qui guide le tribunal dans son appréciation (art. 124 al. 1 CPC)
. À cet égard, il est opportun de procéder de la sorte lorsque des étapes procédurales conséquentes peuvent être évitées
, ce qui est le cas du dépôt d’une réponse (cf. art. 222 al. 3 CPC).

II. Effets

A. Détermination de la valeur litigieuse et de la procédure applicable

11 L’introduction de la demande revêt plusieurs conséquences procédurales. Le Tribunal fédéral a tout d’abord précisé que le dépôt de la demande est le moment déterminant pour le calcul de la valeur litigieuse

. Il s’agit ici du corollaire de l’obligation pour le demandeur d’indiquer la valeur litigieuse dans sa demande (art. 221 al. s1 let. c CPC)
. Le calcul de la valeur litigieuse intervient selon les principes fixés aux art. 91 ss CPC. Sous réserve d’une exagération manifeste ou d’une mésentente entre les parties sur ce point (art. 91 al. 2 CPC), la valeur litigieuse correspond au montant indiqué par la partie demanderesse. C’est sur la base de ce montant que la procédure applicable est déterminée
.

12 Il découle de ce qui précède que la procédure applicable est déterminée au moment de l’introduction de la demande ; c’est donc à compter de ce moment que les règles relatives à la procédure ordinaire trouvent application

. En conséquence, il est loisible à la partie demanderesse de réduire ses conclusions une fois l’autorisation de procéder délivrée ; la procédure applicable se détermine alors sur la base des conclusions réduites
. De même, il est possible, dans la demande, de modifier les conclusions qui ont fait l’objet de l’autorisation de procéder en application de l’art. 227 CPC par analogie, sans tenir compte de l’exigence de l’identité des procédures
. La détermination de la procédure applicable incombe au tribunal, dès lors qu’il s’agit d’une condition de recevabilité dont l’examen intervient d’office (art. 60 CPC). La partie demanderesse n’est pas tenue d’indiquer la procédure applicable dans sa demande. Tout au plus doit-elle respecter les formes propres à la rédaction des actes dans la procédure concernée. En cas de doute sur la procédure applicable, ou sur requête d’une partie, le tribunal peut fixer celle-ci, en fonction des circonstances, au moyen d’une ordonnance d’instruction, d’une décision incidente ou d’une décision finale (art. 219 CPC no 10).

B. Litispendance

13 L’art. 62 al. 1 CPC prévoit que l’instance est introduite par le dépôt de la requête de conciliation, de la demande, de la requête, ou de la requête commune en divorce. Il en découle que dans la majeure partie des cas, le dépôt de la demande n’a pas pour effet de créer la litispendance, dès lors qu’une procédure de conciliation préalable a eu lieu

. Ce n’est que dans l’éventualité où la procédure de conciliation est exclue (art. 198 CPC), facultative (art. 199 al. 3 nCPC) ou lorsque les parties y ont renoncé (art. 199 CPC) que l’introduction de la demande coïncide avec le moment de la litispendance
. Dans ce cas, il revient en outre au tribunal de délivrer aux parties une attestation de dépôt de l’acte introductif d’instance (art. 62 al. 2 CPC).

14 À noter qu’en vertu de l’art. 65 CPC, c’est à partir de la transmission de la demande à la partie défenderesse et non de l’introduction de la demande, qu’il incombe à la partie demanderesse de poursuivre le procès (Fortführungslast). Un retrait de l’acte à compter de ce moment conduit en principe à l’autorité de la chose jugée

.

Bibliographie

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Willisegger Daniel, in: Infanger Dominik/Spühler Karl/Tenchio Luca (édit.), Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung (ZPO), 3e éd., Bâle 2017.

Notes de bas de page

  • Arrêt 4A_452/2017 du 19 octobre 2018 consid. 3.2 (non publié à l’ATF 144 III 526).
  • Message CPC, p. 6946; Leuenberger, art, 220 CPC no 1; Bohnet, p. 269.
  • Heinzmann, no 183 ; BSK-Willisegger, art. 220 CPC no 34.
  • Sur la terminologie et ses origines, cf. Bohnet, p. 269.
  • BSK-Willisegger, art. 220 CPC no 35 s.
  • PC-Heinzmann, art. 220 CPC no 2; BK-Killias, art. 219 CPC no 5.
  • ATF 121 III 252 consid. 3; KuKo-Richers/Naegeli, art. 220 CPC no 5.
  • ATF 121 III 252 consid. 4; BK-Killias, art. 219 CPC no 5; KuKo-Richers/Naegeli, art. 220 CPC no 5.
  • RS 943.01.
  • Message du 15 février 2023 concernant la loi fédérale sur les plateformes de communication électronique dans le domaine judiciaire, FF 2023 679 p. 49.
  • ATF 140 III 159 consid. 4.2.
  • Bohnet, p. 275; BSK-Willisegger, art. 220 CPC no 21.
  • Message CPC, p. 6891; Bohnet, p. 245.
  • Bohnet, p. 245; KuKo-Richers/Naegeli, art. 220 CPC no 10; BSK-Willisegger, art. 220 CPC no 24. Cf. ég. Dike-Pahud, art. 220 CPC no 9 pour qui le tribunal ne peut procéder de la sorte sans entendre l’adverse partie uniquement si l’irrecevabilité est manifeste.
  • KuKo-Richers/Naegeli, art. 220 CPC no 11.
  • Message CPC, p. 6937; KuKo-Richers/Naegeli, art. 220 CPC no 12.
  • Arrêt 5A_856/2017 du 9 mars 2018 consid. 4.3; PC-Heinzmann, art. 222 CPC no 5.
  • ATF 140 III 159 consid. 4.4.
  • ATF 140 III 159 consid. 4.4; PC-Heinzmann, art. 222 CPC no 5.
  • BSK-Willisegger, art. 220 CPC no 13.
  • ATF 140 III 159 consid. 4.2.
  • BK-Frei, art. 124 CPC no 30; KuKo-Weber, art 124 CPC no 16.
  • ATF 141 III 137 consid, 2.2.
  • Heinzmann, no 183; Grobéty, no 230.
  • BSK-Wilisegger, art. 221 CPC no 23; CR-Tappy, art. 221 CPC no 15.
  • Arrêt 4A_222/2017 du 8 mai 2018 consid 4.1.2; Heinzmann, no 183; Hohl/Bovey, p. 524.
  • Arrêt 4A_222/2017 du 8 mai 2018 consid. 4.2; PC-Heinzmann, art. 220 CPC no 5; Hohl/Bovey, p. 524.
  • Arrêt 4A_222/2017 du 8 mai 2018 consid 4.1.2; Hohl/Bovey, p. 524; Grobéty, no 216 s.
  • Arrêt 5A_788/2020 du 17 mai 2021 consid. 3.1.2.1.
  • CR-Tappy, art. 220 CPC no 5 s.
  • PC-Heinzmann, art. 220 CPC no 6.

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10.17176/20241203-075441-0

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