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Commentaire
Art. 75 LDP
defriten

I. Historique

1Au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution fédérale, au 1er janvier 2000, l’art. 75 LDP a été modifié

. Outre une modification des renvois à la Constitution fédérale, cette novelle a formellement consacré la possibilité de l’invalidation partielle d’une initiative populaire fédérale et a introduit la condition du respect des règles impératives de droit international : « Il y a lieu également d’adapter, à l’art. 75, al. 1, LDP, les renvois aux dispositions constitutionnelles. Mention doit être faite par ailleurs de la présence des dispositions contraignantes du droit international. Le libellé de l’article évoque enfin la possibilité́ d’invalider partiellement une initiative populaire, conformément à l’art. 139, al. 3, nCst. L’expression « si nécessaire » illustre le sens de cette possibilité́ : elle ne constitue pas un élargissement des pouvoirs des autorités, son but étant uniquement la sauvegarde du principe de la proportionnalité́, aussi dans le domaine des droits populaires (art. 5, al. 2, nCst.) »
.

2Notons encore qu’au 1er janvier 2003, son titre médian (« examen de la validité ») a été modifié dans le cadre d’une modification de la loi

. Cette modification n’a toutefois rien changé à la portée de la disposition
.

II. Importance de la disposition

A. Généralités

3L’art. 75 LDP reprend les conditions de validité des initiative populaires fédérales mentionnées à l’art. 139 Cst. à savoir le respect (i) de l’unité de la matière, (ii) de l’unité de la forme et (iii) des règles impératives du droit international.

4Si les conditions en tant que telles ressortent de la Constitution fédérale, l’art. 75 LDP précise trois éléments essentiels :

  • Le principe de l’invalidation partielle (art. 75 al 1 LDP) ;

  • La définition du principe de l’unité de la matière (art. 75 al. 2 LDP), avec l’introduction du « rapport intrinsèque » qui irradie l’ensemble de la jurisprudence fédérale rendue en matière d’unité de la matière ;

  • La définition du principe de l’unité de la forme.

5Il s’agit ainsi d’une disposition qui, matériellement, est centrale dans l’examen de la validité d’une initiative populaire. Cela étant, en pratique, seules quatre initiatives populaires fédérales ont été déclarées nulles et une partiellement nulle :

  • En 2013, l’initiative populaire fédérale « pour le renvoi effectif des étrangers criminels (initiative de mise en œuvre) »

    a été partiellement invalidée par le Parlement fédéral
    : la phrase définissant de manière restrictive les règles impératives du droit international a été déclarée nulle : « Au final, la définition que donne le ch. IV, 2e phr. P-Cst. des normes impératives du droit international ouvrirait la porte à des expulsions et à des renvois qui pourraient violer le jus cogens au sens du droit international et les dispositions impératives du droit international au sens de l’art. 139, al. 3, Cst. »
    .

  • L’initiative populaire fédérale « pour une politique d’asile raisonnable »

    a été déclarée nulle par le Parlement le 14 mars 1996 pour violation des dispositions impératives du droit international public
    : « Si elle était acceptée, l'initiative «pour une politique d'asile raisonnable» violerait la substance même des principaux traités multilatéraux dans les domaines du droit des réfugiés et des droits de l'homme. En effet, si les requérants entrés clandestinement en Suisse étaient refoulés sur-le-champ sans avoir la possibilité́ de recourir, il ne serait plus possible d'examiner leur cas sous l'angle du principe du non-refoulement. Certes, on éliminerait une contradiction formelle entre notre législation et le droit international conventionnel en dénonçant la Convention relative au statut des réfugiés, la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la Convention des Nations Unies contre la torture. Mais il n'en subsisterait pas moins une violation du droit international public contraignant; dès lors, des droits fondamentaux aussi élémentaires que le droit à la vie seraient menacés. Aussi le Conseil fédéral partage-t-il la conviction de la communauté́ des Etats et de la nouvelle doctrine; selon celle-ci, il n'est pas possible, dans un Etat fondé sur le droit, de porter atteinte à ces droits fondamentaux par une révision de la constitution. C'est pourquoi le Conseil fédéral estime que l'initiative « pour une politique d'asile raisonnable» doit être déclarée nulle »
    .

  • L’initiative populaire fédérale « pour moins de dépenses militaires davantage de politique de paix »

    a été déclarée nulle par le Parlement fédéral le 20 juin 1995 pour violation de l’unité de la matière
    , alors même que le Conseil fédéral préconisait sa validation : « Le principe de l'unité́ de la matière inscrit dans la constitution fédérale exige un rapport intrinsèque entre les différentes parties d'une initiative. Les thèmes qui ne présentent pas de rapport intrinsèque doivent faire l'objet d'initiatives populaires séparées. Une telle relation manque en principe entre la réduction des dépenses en faveur de la défense nationale et l'affectation d'une partie des montants économisés au domaine de la sécurité́ sociale. Compte tenu de la pratique actuelle extensive du Conseil fédéral et du Parlement et étant donné que l'exercice des droits populaires ne doit être restreint que si une telle mesure s'impose indiscutablement, la validité́ de l'initiative est malgré́ tout admise »
    .

  • L’initiative populaire fédérale « contre la vie chère et l’inflation »

    a été déclarée nulle le 16 décembre 1977 par le Parlement fédéral pour violation de l’unité de la matière
    : « Le «rapport intrinsèque» entre les composantes d'une initiative est tenu pour acquis quand des raisons objectives justifient qu'elles fassent l'objet d'une seule décision du citoyen. L'initiative «contre la vie chère et l'inflation» ne le permet pas »
    .

  • L’initiative populaire fédérale « pour la réduction temporaire des dépenses militaires (trêve de l’armement) » a été déclarée nulle le 15 décembre 1955 par le Parlement fédéral

    , alors même que le Conseil fédéral en préconisait sa validation, tout en s’interrogeant uniquement sur la question du respect de l’unité de la matière : « II est permis de soutenir qu'il existe un rapport intrinsèque, sinon logique du moins pratique entre, d'une part, la réduction du budget militaire ordinaire en 1956 (1955 n'entre plus en ligne de compte) et l'interdiction de toute dépense extraordinaire d'armement pendant la même année et, d'autre part, l'affectation de l'économie ainsi obtenue aux buts indiqués (œuvres suisses en faveur de l'enfance et construction de logements à loyers modestes ; œuvres de reconstruction dans les régions dévastées par la guerre dans les pays limitrophes). Comme l'indique aussi le contexte, la seconde partie de l'initiative est la conséquence de la première »
    .

6Il faut ainsi mettre ces chiffres de 4 invalidations totales et d’une invalidation partielle en perspective avec les 356 initiatives populaires qui ont abouti, dont 228 ont fait l’objet d’une votation et 25 seulement ont été acceptées

. L’invalidation d’une initiative populaire fédérale – au contraire des initiatives populaires cantonales ou communales – demeure ainsi très largement l’exception.

B. Droit cantonal comparé

7Bien qu’applicable aux seules initiatives populaires fédérales, la théorie du « lien intrinsèque », consacrée par l’art. 75 al. 2 LDP pour définir l’unité de la matière est reprise par le Tribunal fédéral dans sa jurisprudence relative à l’examen de cette condition de validité d’une initiative, qui s’impose aux cantons en application de la garantie des droits politiques

. Elle a en outre été reprise par plusieurs dispositions cantonales, comme par exemples dans le canton de Berne (art. 141 al. 2 LDP/BE
), de Fribourg (art. 123 al. 2 LEDP/FR
), de Neuchâtel (art. 97 al. 3 LDP/NE
) ou encore de Vaud (art. 113 al. 3 LEDP/VD
).

8Le Tribunal fédéral relève en outre que si la solution tendant à une invalidation partielle en cas de violation de l’unité de la matière est consacrée par l’art. 75 al. 1 LDP et fréquemment adoptée par les cantons

, elle n’est pas imposée par le droit fédéral
.

9Inversement, la doctrine précise que les principes développés par le Tribunal fédéral sur la validité des initiatives cantonales et communales doivent également être repris par le Parlement fédéral lorsqu’il examine un initiative populaire fédérale

.

III. Commentaire

A. L’invalidation totale ou partielle : la consécration du principe de la proportionnalité (al. 1)

10 Selon l’art. 75 al. 1 LDP, lorsqu’une initiative populaire ne respecte pas le principe de l’unité de la matière (art. 139, al. 3, et art. 194, al. 2, Cst.), celui de l’unité de la forme (art. 139, al. 3, et art. 194, al. 3, Cst.) ou les règles impératives du droit international (art. 139, al. 3, 193, al. 4, et 194, al. 2, Cst.), l’Assemblée fédérale la déclare nulle, en tout ou en partie, dans la mesure nécessaire.

11 En principe, seules ces conditions de validité, formellement prévues par la Constitution fédérale, sont examinées

. Il est toutefois admis qu’il existe une condition supplémentaire de validité à une initiative populaire fédérale : l’inexécutabilité. Il s’agit de la seule limite matérielle non écrite admise à la révision constitutionnelle
: « pour qu’une initiative puisse être invalidée sur ce motif, il faut qu’il existe des raisons matérielles manifestes la rendant sans aucun doute inexécutable »
.

12 L’art. 75 LDP est ainsi une disposition de mise en œuvre de plusieurs dispositions constitutionnelles :

  • Les art. 139 et 194 Cst., qui contiennent les conditions de validité d’une initiative populaire fédérale tendant à la révision partielle de la Constitution fédérale ;

  • L’art. 173 al. 1 let. f Cst., qui consacre la compétence du Parlement fédéral pour statuer sur la validité des initiatives populaires fédérales qui ont abouti ;

13 L’art. 75 al. 1 LDP confirme ainsi que la compétence pour statuer sur la validité d’une initiative populaire fédérale revient à l’Assemblée fédérale. Celle-ci étant composée, en application du principe du bicamérisme parfait, des deux Conseils dotés des mêmes compétences (art. 148 al. 2 Cst.), c’est l’art. 98 al. 2 LParl

qui s’applique en cas d’éventuelle divergence entre eux. Conformément au principe in dubio pro populo, en cas de divergence, l’initiative est réputée valable : « Si les décisions des conseils divergent quant à la validité de tout ou partie d’une initiative populaire, et que le conseil qui a reconnu la validité confirme sa décision, l’initiative ou les parties en cause sont réputées valables » (art. 98 al. 2 LParl).

14 La décision de l’Assemblée fédérale doit se limiter à un pur contrôle juridique

. A cet égard, pour faciliter sa tâche, le Parlement se voit remettre un message du Conseil fédéral qui examine ces questions (art. 97 LParl) et lui permet de trancher.

15 Le droit fédéral ne prévoit pas qu’il existe un droit d’être entendu des initiants avant la prise de décision par l’Assemblée fédérale, y compris après le dépôt du message du Conseil fédéral. Si le Tribunal fédéral a jugé qu’un tel droit n’existe pas en cas de procédure parlementaire

, comme devant l’Assemblée fédérale, il a récemment fait évoluer la jurisprudence et confirmé que les initiants devaient se voir reconnaître un droit d’être entendu lorsqu’un exécutif cantonal statuait sur la validité d’une initiative populaire avant que les signatures soient récoltées
. Au vu de la position doctrinale majoritaire, qui plaide en faveur du droit d’être entendu des initiants
, une révision législative sur ce point serait souhaitable. Toutefois, en l’état du droit, et de l’ATF 123 I 63 qui précise que les initiants peuvent faire valoir leur point de vue par les différentes forces en présence devant le Parlement, les initiants n’ont (malheureusement) pas de droit d’être entendu avant la prise de décision par l’Assemblée fédérale. Cette absence est, à notre sens, problématique au vu du poids du message du Conseil fédéral.

16 Enfin, la décision de l’Assemblée fédérale sur la validité (ou l’invalidité, partielle ou totale) d’une initiative populaire est définitive. Elle n’est, en particulier, pas sujette à recours devant le Tribunal fédéral, car aucune loi fédérale ne le prévoit (art. 189 al. 4 Cst.)

. Logiquement, elle n’est pas non plus sujette au référendum (art. 141 al. 1 let. c Cst.)
. Elle est ainsi prise sous la forme d’un arrêté fédéral simple au sens de l’art. 29 LParl
.

17 L’art. 75 al. 1 LDP consacre l’application du principe de la proportionnalité en matière d’invalidation des initiatives populaires fédérales (art. 36 al. 3 Cst.). Dans sa jurisprudence sur les initiatives cantonales, le Tribunal fédéral relève ainsi que même en l'absence d'une disposition expresse dans le droit cantonal, la possibilité d'une invalidation partielle d'une initiative populaire découle du principe in dubio pro populo, et vient concrétiser, en matière de droits politiques, le principe général de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.). Ainsi, lorsque seule une partie de l'initiative paraît inadmissible (y compris inexécutable), la partie restante peut subsister comme telle, pour autant qu'elle forme un tout cohérent, qu'elle puisse encore correspondre à la volonté des initiants et qu'elle respecte en soi le droit supérieur. L'invalidité d'une partie de l'initiative ne doit entraîner celle du tout que si le texte ne peut être amputé sans être dénaturé

.

18 Le Conseil fédéral applique pleinement ces principes lorsqu’il est confronté à une initiative populaire fédérale dont une partie est invalide : « L’invalidation d’une initiative constitue une atteinte grave au droit d’initiative; elle doit donc se faire en application du principe de proportionnalité́. L’Assemblée fédérale doit opter pour la solution la moins drastique, à savoir l’invalidation partielle, pour autant que la partie valable conserve un sens et qu’on puisse partir du principe que, même amputée ainsi, l’initiative aurait recueilli le nombre de signatures requis »

.

19 Si les conditions d’une invalidation partielle sont remplies, soit que la partie restante (i) forme encore un tout cohérent, (ii) puisse correspondre à la volonté des initiants et (iii) qu’elle respecte en soi le droit supérieur, l’Assemble fédérale a ainsi l’obligation de ne procéder qu’à une invalidation partielle

. Il faut toutefois préciser qu’une invalidation partielle n’est possible qu’en matière de violation des normes impératives du droit international public, d’inexécutabilité, voire de l’unité de la matière, mais non en cas de violation de l’unité de la forme. En effet, dans cette dernière hypothèse, le mélange des formes rend impossible une autre sanction que l’invalidation totale
, car il est impossible de déterminer quelle partie il faudrait conserver
.

20 En revanche, faute de disposition le prévoyant explicitement, la scission d’une initiative populaire fédérale en cas de violation de l’unité de la matière est, à notre sens, et bien que la question soit controversée en doctrine, impossible

. Le Tribunal fédéral a en effet jugé que la scission d’une initiative populaire fédérale pouvait être prévue par le droit cantonal, mais qu’elle n’était pas imposée par le droit fédéral
. Il doit, à notre sens, en découler que le principe de la proportionnalité n’impose pas la scission d’une initiative populaire qui viole l’unité de la matière. La scission ne peut ainsi pas se faire en droit fédéral, faute de base légale l’autorisant. En tout état, il faut préciser qu’en cas de violation flagrante du principe de l’unité de la matière, la scission – même prévue par le droit cantonal – ne peut pas être exigée
.

B. L’unité de la matière : le lien intrinsèque (al. 2)

21 Selon l’art. 75 al. 2 LDP, l’unité de la matière est respectée lorsqu’il existe un rapport intrinsèque entre les différentes parties d’une initiative.

22 L'exigence d'unité de la matière découle de la garantie des droits politiques (art. 34 al. 2 Cst.). Elle interdit de mêler, dans un même objet soumis au peuple, plusieurs propositions de nature ou de but différents, qui forceraient ainsi le citoyen à une approbation ou à une opposition globale, alors qu'il pourrait n'être d'accord qu'avec une partie des propositions qui lui sont soumises. Il doit ainsi exister, entre les diverses parties d'un objet soumis au peuple, un rapport intrinsèque ainsi qu'une unité de but, c'est-à-dire un rapport de connexité qui fasse apparaître comme objectivement justifiée la réunion de plusieurs propositions en une seule question soumise au vote

.

23 La notion de "rapport intrinsèque" qui figure à l’art. 75 al. 2 LDP doit s'interpréter de la manière suivante : le principe d'unité de la matière est inhérent à la notion même d'initiative, celle-ci devant poser une question claire aux citoyens au moment du vote. Le critère déterminant est donc de savoir si, telle qu'elle est proposée, l'initiative permet aux citoyens d'exprimer librement leur véritable volonté

.

24 La portée du principe de l'unité de la matière est en outre différente selon les domaines. Ainsi, les exigences sont, en l’état, plus strictes pour les projets issus d'une initiative populaire que pour ceux proposés par l'autorité: en effet, la règle vise aussi à empêcher que les auteurs de l'initiative puissent réunir des partisans de réformes différentes et atteindre ainsi plus aisément le nombre de signatures requis, en risquant cependant de donner un reflet inexact de l'opinion populaire

.

25 Une autre distinction peut être faite: l'exigence d'unité de la matière est plus contraignante à l'égard d'une initiative rédigée de toutes pièces que pour une initiative non formulée, cette dernière contenant une proposition générale qu'il appartiendra encore au législateur de concrétiser

.

26 L'unité de la matière est une notion relative qui doit être appréciée en fonction des circonstances concrètes

. Une initiative se présentant comme un ensemble de propositions diverses, certes toutes orientées vers un même but, mais recouvrant des domaines aussi divers qu'une politique économique, une réforme fiscale, le développement de la formation, la réduction du temps de travail, la réinsertion des sans-emploi, etc., viole la règle de l'unité de la matière
. En revanche, une initiative populaire peut mettre en œuvre des moyens variés, pour autant que ceux-ci soient rattachés sans artifice à l'idée centrale défendue par les initiants
. L'unité de la matière fait dès lors défaut lorsque l'initiative présente en réalité un programme politique général
, lorsqu'il n'y a pas de rapport suffisamment étroit entre les différentes propositions, lorsque celles-ci sont réunies de manière artificielle ou subjective
, lorsqu'il n'y a pas d'idée centrale mais deux projets de nature totalement distincte
ou encore lorsqu'il y a une juxtaposition plutôt qu'une complémentarité de moyens
.

27 Sont ainsi admis en pratique, à l’aune du critère du rapport matériel intrinsèque entre les parties d’une initiative :

  • Une initiative portant sur un seul thème ;

  • Une initiative poursuivant un seul but, mais prévoyant une clause de financement ;

  • Une initiative proposant une règle générale et abstraite, introduisant en parallèle une disposition transitoire relative à un cas concret ;

  • Une initiative poursuivant un but, avec plusieurs moyens pour y parvenir ;

  • Une initiative avec plusieurs aspects, historiquement ou pratiquement, liés ensemble

    .

28 A noter que l’approche des autorités fédérales est moins stricte que celles du Tribunal fédéral

, ce qu’elles indiquent explicitement en relevant qu’elles disposent d’une large marge d’appréciation : « Dans sa pratique, l’Assemblée fédérale utilise cette marge de manœuvre selon le principe in dubio pro populo. En cas de doute, elle tranche donc en faveur des droits populaires et estime que l’unité́ de la matière est respectée. Elle entend ainsi empêcher que le droit d’initiative ne soit trop fortement restreint. S’agissant de l’évaluation d’initiatives populaires cantonales, le Tribunal fédéral applique le critère de la connexité́ matérielle de manière un peu plus stricte mais néanmoins large. La jurisprudence du Tribunal fédéral précise «que le principe [de l’unité́ de la matière] est de nature relative et doit être considéré dans le contexte des circonstances particulières». Le corps électoral ne peut invoquer un droit constitutionnel à ce que certaines parties d’un projet (par ex. des parties particulièrement importantes) lui soient soumises séparément. Etant donné que l’évaluation d’initiatives populaires fédérales incombe en dernier lieu à l’Assemblée fédérale, la jurisprudence susmentionnée ne s’applique pas directement»
.

29 L’Assemblée fédérale a par exemple validé l’initiative populaire «Halte à la surpopulation – Oui à la préservation durable des ressources naturelles»

, nonobstant un texte qui mélangeait une limitation de sa population résidente et la coopération internationale au développement
:l’existence d’un lien intrinsèque entre ces deux idées laisse, pour le moins, songeur.

30 Interprété de la sorte, le principe de l’unité de la matière ne s’appliquera ainsi, sur le plan fédéral, qu’à des violations manifestes de l’unité de la matière.

31 L’exemple type d’initiative inadmissible est l’initiative populaire « programme politique », à l’instar de l’initiative « contre la vie chère et l’inflation », qui prévoyait un paquet de mesures économiques

et qui a été déclarée nulle pour violation de l’unité de la matière
: « Le «rapport intrinsèque» entre les composantes d'une initiative est tenu pour acquis quand des raisons objectives justifient qu'elles fassent l'objet d'une seule décision du citoyen. L'initiative «contre la vie chère et l'inflation» ne le permet pas »
.

C. L’unité de la forme : l’interdiction des mélanges (al. 3)

32 Selon l’art. 75 al. 3 LDP, l’unité de la forme est respectée lorsque l’initiative est déposée exclusivement sous la forme d’une proposition conçue en termes généraux ou exclusivement sous celle d’un projet rédigé de toutes pièces.

33 Avec une proposition conçue en termes généraux, l’autorité législative est chargée d’élaborer un projet qui concrétise l’objectif de l’initiative, alors que le projet rédigé de toutes pièces contient déjà un texte rédigé et intouchable par les autorités

.

34 Cette disposition n’appelle ainsi guère de développement. Elle pose en effet le principe du choix entre un texte entièrement rédigé ou une proposition conçue en terme généraux. Elle interdit le mélange entre les deux possibilités.

35 La doctrine relève qu’une violation de l’unité de la forme n’est guère envisageable concrètement car la proposition formulée en termes généraux est très large. Ainsi, même un texte précis peut être qualifié de la sorte. La seule hypothèse envisagée est celle d’un texte qui « contienne à la fois des éléments qui ne peuvent être que définitifs et d’autres qui ne peuvent pas l’être, au regard de leur degré de perfection légistique »

.

36 L’Assemblée fédérale n’a invalidé une initiative pour violation de l’unité de la forme qu’une fois, en 1955 lorsqu’elle a déclaré nulle l’initiative « pour la réduction temporaire des dépenses militaires (trêve de l’armement) », au motif qu’elle concernait plusieurs années budgétaires. La doctrine relève toutefois qu’il ne s’agissait nullement d’un problème d’unité de la forme

.

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Tschannen Pierre, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 5ème éd., Berne, 2021.

Notes de bas de page

  • RO 2000 411.
  • FF 1999 7145, p. 7164.
  • RO 2002 3193; le titre initial était “Unité de la matière et de la forme”.
  • FF 2001 6051, p. 6069.
  • FF 2013 1061.
  • FF 2015 2487.
  • FF 2013 8493, p. 8506.
  • FF 1992 V 835.
  • FF 1996 I 1305.
  • FF 1994 III 1471, p. 1473.
  • FF 1993 I 78.
  • FF 1995 III 563.
  • FF 1994 III 1181, p. 1182.
  • FF 1975 II 297.
  • FF 1977 III 947.
  • FF 1977 II 477, p. 478.
  • FF 1955 II 1522.
  • FF 1955 II 333, p. 337.
  • chiffres au 18 février 2024 : cf. https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis_2_2_5_9.html.
  • Cf. ATF 130 I 185, consid. 3; ATF 129 I 381, consid. 2.3.
  • Loi sur les droits politiques du 5.06.2012 (LDP/BE ; RS/BE 141.1).
  • Loi sur l’exercice des droits politiques du 6.04.2001 (LEDP/FR ; RS/FR 115.1).
  • Loi sur les droits politiques du 17.10.1984 (LDP/NE ; RS/NE 141).
  • Loi sur l’exercice des droits politiques du 5 octobre 2021 (LEDP/VD ; RS 160.01).
  • Cf. Schaub, p. 94 ss pour un examen des différentes solutions cantonales.
  • ATF 130 I 185, consid. 4 ; ATF 129 I 381 consid. 4 ; ATF 123 I 63 consid. 4c ; ATF 81 I 192 consid. 6.
  • Ehrenzeller/Gertsch, ad art. 139 N. 62.
  • Cf. FF 2022 737, p. 7; FF 20212383, p. 6.
  • FF 1997 I 433 ; Ehrenzeller/Gertsch, ad art. 139 N. 57 ss.
  • FF 2013 8493, p. 8508.
  • Loi sur l’Assemblée fédérale du 13 décembre 2002 (RS 171.10).
  • Biaggini, ad art. 139 N. 10. Cf. aussi Dubey, ad art. 139 N. 65.
  • ATF 123 I 63 consid. 2.
  • ATF 145 I 167.
  • cf. Jacquemoud, passim et les références citées. Cf. aussi Hangartner/Kley/Braun Binder/Glaser, N. 2056 ; Kölz, p. 29-30 ; Auer, N. 108 ; Albertini, p. 183; Grodecki, p. 331. Contra Attinger, p. 79.
  • Hangartner/Kley/Braun Binder/Glaser, N. 825 ; Tschannen, N. 1558. Cf. explicitement sur l’irrecevabilité du recours au Tribunal fédéral : arrêt 1C_624/2017 du 16 novembre 2017.
  • Hangartner/Kley/Braun Binder/Glaser, N. 824.
  • Hangartner/Kley/Braun Binder/Glaser, N. 824 ; Tschannen, N. 1558.
  • ATF 134 I 172 consid. 2.1 ; ATF 130 I 185 consid. 5 ; ATF 128 I 190 consid. 6 ; ATF 135 I 227 consid. 4.
  • FF 2013 8493, p. 8506.
  • Ehrenzeller/Gertsch, ad art. 139 N. 64 ; Tschannen, N. 1558.
  • Dubey, ad art. 139 N. 57 ; Epiney/Diezig, ad art. 139 N. 21.
  • arrêt 1C_665/2015 du 6 octobre 2016, consid. 3.4.2.
  • Epiney/Diezig, ad art. 139 N. 21 ; Biaggini, ad art. 139 N. 16. Apparement aussi en ce sens Dubey, ad art. 139 N. 66. Contra, Hangartner/Kley/Braun Binder/Glaser, N. 823; Ehrenzeller/Gertsch, ad art. 139 N. 65 ; Rhinow/Schefer/Uebersax, N. 2077.
  • ATF 130 I 185 consid. 4.
  • Cf. ATF 129 I 381.
  • ATF 137 I 200, consid. 2.2; ATF 130 I 185, consid. 3.
  • ATF 130 I 185, consid. 3.
  • ATF 123 I 63 consid. 4d; le Tribunal fédéral pourrait toutefois changer sa jurisprudence à cet égard : il a en effet laissé la question ouverte dans son dernier arrêt rendu sur cette question : arrêt 1C_175/2019 du 12 février 2020 consid. 2.3 in ZBl 2020 664. Une partie importante de la doctrine critique d’ailleurs cette distinction : Tschannen, p. 717-718 ; Tanquerel, p. 135-137 ; Kley, p. 26 ; Häfelin/Keller/Thurnherr, N. 1389 ; Rhinow/Schefer/Uebersax, N. 2074. Plus nuancé toutefois et moins critique, Mahon N. 53 ss.
  • ATF 130 I 185, consid. 3.
  • ATF 137 I 200 consid. 2.2.
  • ATF 123 I 63 consid. 5.
  • ATF 125 I 227, consid. 3c p. 231; ATF 128 I 190 consid. 3.2.
  • ATF 123 I 63 consid. 5.
  • ATF 123 I 63 consid. 4d.
  • ATF 129 I 381 consid. 2.4.
  • ATF 130 I 185 consid. 3.6.
  • Ehrenzeller/Gertsch, ad art. 139 N. 62.
  • Cf. Dubey, ad art. 139 N. 77.
  • FF 2013 7783, p. 7792
  • FF 2014 4943.
  • FF 2013 7837.
  • FF 1975 II 297.
  • FF 1977 III 947.
  • FF 1977 II 477, p. 478.
  • cf. Tschannen, Einheit der Form, p. 8 ss.
  • Dubey, ad art. 139 N. 56 Ehrenzeller/Gertsch, ad art. 139 N. 38; pour un exemple, rare, sur le plan cantonal : arrêt 1C_665/2015 du 5 octobre 2016.
  • Ehrenzeller/Gertsch, ad art. 139 N. 37.

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