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I. Historique
1Au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution fédérale, au 1er janvier 2000, l’art. 75 LDP a été modifié
2Notons encore qu’au 1er janvier 2003, son titre médian (« examen de la validité ») a été modifié dans le cadre d’une modification de la loi
II. Importance de la disposition
A. Généralités
3L’art. 75 LDP reprend les conditions de validité des initiative populaires fédérales mentionnées à l’art. 139 Cst. à savoir le respect (i) de l’unité de la matière, (ii) de l’unité de la forme et (iii) des règles impératives du droit international.
4Si les conditions en tant que telles ressortent de la Constitution fédérale, l’art. 75 LDP précise trois éléments essentiels :
Le principe de l’invalidation partielle (art. 75 al 1 LDP) ;
La définition du principe de l’unité de la matière (art. 75 al. 2 LDP), avec l’introduction du « rapport intrinsèque » qui irradie l’ensemble de la jurisprudence fédérale rendue en matière d’unité de la matière ;
La définition du principe de l’unité de la forme.
5Il s’agit ainsi d’une disposition qui, matériellement, est centrale dans l’examen de la validité d’une initiative populaire. Cela étant, en pratique, seules quatre initiatives populaires fédérales ont été déclarées nulles et une partiellement nulle :
En 2013, l’initiative populaire fédérale « pour le renvoi effectif des étrangers criminels (initiative de mise en œuvre) »
FF 2013 1061. a été partiellement invalidée par le Parlement fédéralFF 2015 2487. : la phrase définissant de manière restrictive les règles impératives du droit international a été déclarée nulle : « Au final, la définition que donne le ch. IV, 2e phr. P-Cst. des normes impératives du droit international ouvrirait la porte à des expulsions et à des renvois qui pourraient violer le jus cogens au sens du droit international et les dispositions impératives du droit international au sens de l’art. 139, al. 3, Cst. »FF 2013 8493, p. 8506. .L’initiative populaire fédérale « pour une politique d’asile raisonnable »
FF 1992 V 835. a été déclarée nulle par le Parlement le 14 mars 1996 pour violation des dispositions impératives du droit international publicFF 1996 I 1305. : « Si elle était acceptée, l'initiative «pour une politique d'asile raisonnable» violerait la substance même des principaux traités multilatéraux dans les domaines du droit des réfugiés et des droits de l'homme. En effet, si les requérants entrés clandestinement en Suisse étaient refoulés sur-le-champ sans avoir la possibilité́ de recourir, il ne serait plus possible d'examiner leur cas sous l'angle du principe du non-refoulement. Certes, on éliminerait une contradiction formelle entre notre législation et le droit international conventionnel en dénonçant la Convention relative au statut des réfugiés, la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la Convention des Nations Unies contre la torture. Mais il n'en subsisterait pas moins une violation du droit international public contraignant; dès lors, des droits fondamentaux aussi élémentaires que le droit à la vie seraient menacés. Aussi le Conseil fédéral partage-t-il la conviction de la communauté́ des Etats et de la nouvelle doctrine; selon celle-ci, il n'est pas possible, dans un Etat fondé sur le droit, de porter atteinte à ces droits fondamentaux par une révision de la constitution. C'est pourquoi le Conseil fédéral estime que l'initiative « pour une politique d'asile raisonnable» doit être déclarée nulle »FF 1994 III 1471, p. 1473. .L’initiative populaire fédérale « pour moins de dépenses militaires davantage de politique de paix »
FF 1993 I 78. a été déclarée nulle par le Parlement fédéral le 20 juin 1995 pour violation de l’unité de la matièreFF 1995 III 563. , alors même que le Conseil fédéral préconisait sa validation : « Le principe de l'unité́ de la matière inscrit dans la constitution fédérale exige un rapport intrinsèque entre les différentes parties d'une initiative. Les thèmes qui ne présentent pas de rapport intrinsèque doivent faire l'objet d'initiatives populaires séparées. Une telle relation manque en principe entre la réduction des dépenses en faveur de la défense nationale et l'affectation d'une partie des montants économisés au domaine de la sécurité́ sociale. Compte tenu de la pratique actuelle extensive du Conseil fédéral et du Parlement et étant donné que l'exercice des droits populaires ne doit être restreint que si une telle mesure s'impose indiscutablement, la validité́ de l'initiative est malgré́ tout admise »FF 1994 III 1181, p. 1182. .L’initiative populaire fédérale « contre la vie chère et l’inflation »
FF 1975 II 297. a été déclarée nulle le 16 décembre 1977 par le Parlement fédéral pour violation de l’unité de la matièreFF 1977 III 947. : « Le «rapport intrinsèque» entre les composantes d'une initiative est tenu pour acquis quand des raisons objectives justifient qu'elles fassent l'objet d'une seule décision du citoyen. L'initiative «contre la vie chère et l'inflation» ne le permet pas »FF 1977 II 477, p. 478. .L’initiative populaire fédérale « pour la réduction temporaire des dépenses militaires (trêve de l’armement) » a été déclarée nulle le 15 décembre 1955 par le Parlement fédéral
FF 1955 II 1522. , alors même que le Conseil fédéral en préconisait sa validation, tout en s’interrogeant uniquement sur la question du respect de l’unité de la matière : « II est permis de soutenir qu'il existe un rapport intrinsèque, sinon logique du moins pratique entre, d'une part, la réduction du budget militaire ordinaire en 1956 (1955 n'entre plus en ligne de compte) et l'interdiction de toute dépense extraordinaire d'armement pendant la même année et, d'autre part, l'affectation de l'économie ainsi obtenue aux buts indiqués (œuvres suisses en faveur de l'enfance et construction de logements à loyers modestes ; œuvres de reconstruction dans les régions dévastées par la guerre dans les pays limitrophes). Comme l'indique aussi le contexte, la seconde partie de l'initiative est la conséquence de la première »FF 1955 II 333, p. 337. .
6Il faut ainsi mettre ces chiffres de 4 invalidations totales et d’une invalidation partielle en perspective avec les 356 initiatives populaires qui ont abouti, dont 228 ont fait l’objet d’une votation et 25 seulement ont été acceptées
B. Droit cantonal comparé
7Bien qu’applicable aux seules initiatives populaires fédérales, la théorie du « lien intrinsèque », consacrée par l’art. 75 al. 2 LDP pour définir l’unité de la matière est reprise par le Tribunal fédéral dans sa jurisprudence relative à l’examen de cette condition de validité d’une initiative, qui s’impose aux cantons en application de la garantie des droits politiques
8Le Tribunal fédéral relève en outre que si la solution tendant à une invalidation partielle en cas de violation de l’unité de la matière est consacrée par l’art. 75 al. 1 LDP et fréquemment adoptée par les cantons
9Inversement, la doctrine précise que les principes développés par le Tribunal fédéral sur la validité des initiatives cantonales et communales doivent également être repris par le Parlement fédéral lorsqu’il examine un initiative populaire fédérale
III. Commentaire
A. L’invalidation totale ou partielle : la consécration du principe de la proportionnalité (al. 1)
10 Selon l’art. 75 al. 1 LDP, lorsqu’une initiative populaire ne respecte pas le principe de l’unité de la matière (art. 139, al. 3, et art. 194, al. 2, Cst.), celui de l’unité de la forme (art. 139, al. 3, et art. 194, al. 3, Cst.) ou les règles impératives du droit international (art. 139, al. 3, 193, al. 4, et 194, al. 2, Cst.), l’Assemblée fédérale la déclare nulle, en tout ou en partie, dans la mesure nécessaire.
11 En principe, seules ces conditions de validité, formellement prévues par la Constitution fédérale, sont examinées
12 L’art. 75 LDP est ainsi une disposition de mise en œuvre de plusieurs dispositions constitutionnelles :
Les art. 139 et 194 Cst., qui contiennent les conditions de validité d’une initiative populaire fédérale tendant à la révision partielle de la Constitution fédérale ;
L’art. 173 al. 1 let. f Cst., qui consacre la compétence du Parlement fédéral pour statuer sur la validité des initiatives populaires fédérales qui ont abouti ;
13 L’art. 75 al. 1 LDP confirme ainsi que la compétence pour statuer sur la validité d’une initiative populaire fédérale revient à l’Assemblée fédérale. Celle-ci étant composée, en application du principe du bicamérisme parfait, des deux Conseils dotés des mêmes compétences (art. 148 al. 2 Cst.), c’est l’art. 98 al. 2 LParl
14 La décision de l’Assemblée fédérale doit se limiter à un pur contrôle juridique
15 Le droit fédéral ne prévoit pas qu’il existe un droit d’être entendu des initiants avant la prise de décision par l’Assemblée fédérale, y compris après le dépôt du message du Conseil fédéral. Si le Tribunal fédéral a jugé qu’un tel droit n’existe pas en cas de procédure parlementaire
16 Enfin, la décision de l’Assemblée fédérale sur la validité (ou l’invalidité, partielle ou totale) d’une initiative populaire est définitive. Elle n’est, en particulier, pas sujette à recours devant le Tribunal fédéral, car aucune loi fédérale ne le prévoit (art. 189 al. 4 Cst.)
17 L’art. 75 al. 1 LDP consacre l’application du principe de la proportionnalité en matière d’invalidation des initiatives populaires fédérales (art. 36 al. 3 Cst.). Dans sa jurisprudence sur les initiatives cantonales, le Tribunal fédéral relève ainsi que même en l'absence d'une disposition expresse dans le droit cantonal, la possibilité d'une invalidation partielle d'une initiative populaire découle du principe in dubio pro populo, et vient concrétiser, en matière de droits politiques, le principe général de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.). Ainsi, lorsque seule une partie de l'initiative paraît inadmissible (y compris inexécutable), la partie restante peut subsister comme telle, pour autant qu'elle forme un tout cohérent, qu'elle puisse encore correspondre à la volonté des initiants et qu'elle respecte en soi le droit supérieur. L'invalidité d'une partie de l'initiative ne doit entraîner celle du tout que si le texte ne peut être amputé sans être dénaturé
18 Le Conseil fédéral applique pleinement ces principes lorsqu’il est confronté à une initiative populaire fédérale dont une partie est invalide : « L’invalidation d’une initiative constitue une atteinte grave au droit d’initiative; elle doit donc se faire en application du principe de proportionnalité́. L’Assemblée fédérale doit opter pour la solution la moins drastique, à savoir l’invalidation partielle, pour autant que la partie valable conserve un sens et qu’on puisse partir du principe que, même amputée ainsi, l’initiative aurait recueilli le nombre de signatures requis »
19 Si les conditions d’une invalidation partielle sont remplies, soit que la partie restante (i) forme encore un tout cohérent, (ii) puisse correspondre à la volonté des initiants et (iii) qu’elle respecte en soi le droit supérieur, l’Assemble fédérale a ainsi l’obligation de ne procéder qu’à une invalidation partielle
20 En revanche, faute de disposition le prévoyant explicitement, la scission d’une initiative populaire fédérale en cas de violation de l’unité de la matière est, à notre sens, et bien que la question soit controversée en doctrine, impossible
B. L’unité de la matière : le lien intrinsèque (al. 2)
21 Selon l’art. 75 al. 2 LDP, l’unité de la matière est respectée lorsqu’il existe un rapport intrinsèque entre les différentes parties d’une initiative.
22 L'exigence d'unité de la matière découle de la garantie des droits politiques (art. 34 al. 2 Cst.). Elle interdit de mêler, dans un même objet soumis au peuple, plusieurs propositions de nature ou de but différents, qui forceraient ainsi le citoyen à une approbation ou à une opposition globale, alors qu'il pourrait n'être d'accord qu'avec une partie des propositions qui lui sont soumises. Il doit ainsi exister, entre les diverses parties d'un objet soumis au peuple, un rapport intrinsèque ainsi qu'une unité de but, c'est-à-dire un rapport de connexité qui fasse apparaître comme objectivement justifiée la réunion de plusieurs propositions en une seule question soumise au vote
23 La notion de "rapport intrinsèque" qui figure à l’art. 75 al. 2 LDP doit s'interpréter de la manière suivante : le principe d'unité de la matière est inhérent à la notion même d'initiative, celle-ci devant poser une question claire aux citoyens au moment du vote. Le critère déterminant est donc de savoir si, telle qu'elle est proposée, l'initiative permet aux citoyens d'exprimer librement leur véritable volonté
24 La portée du principe de l'unité de la matière est en outre différente selon les domaines. Ainsi, les exigences sont, en l’état, plus strictes pour les projets issus d'une initiative populaire que pour ceux proposés par l'autorité: en effet, la règle vise aussi à empêcher que les auteurs de l'initiative puissent réunir des partisans de réformes différentes et atteindre ainsi plus aisément le nombre de signatures requis, en risquant cependant de donner un reflet inexact de l'opinion populaire
25 Une autre distinction peut être faite: l'exigence d'unité de la matière est plus contraignante à l'égard d'une initiative rédigée de toutes pièces que pour une initiative non formulée, cette dernière contenant une proposition générale qu'il appartiendra encore au législateur de concrétiser
26 L'unité de la matière est une notion relative qui doit être appréciée en fonction des circonstances concrètes
27 Sont ainsi admis en pratique, à l’aune du critère du rapport matériel intrinsèque entre les parties d’une initiative :
Une initiative portant sur un seul thème ;
Une initiative poursuivant un seul but, mais prévoyant une clause de financement ;
Une initiative proposant une règle générale et abstraite, introduisant en parallèle une disposition transitoire relative à un cas concret ;
Une initiative poursuivant un but, avec plusieurs moyens pour y parvenir ;
Une initiative avec plusieurs aspects, historiquement ou pratiquement, liés ensemble
Ehrenzeller/Gertsch, ad art. 139 N. 62. .
28 A noter que l’approche des autorités fédérales est moins stricte que celles du Tribunal fédéral
29 L’Assemblée fédérale a par exemple validé l’initiative populaire «Halte à la surpopulation – Oui à la préservation durable des ressources naturelles»
30 Interprété de la sorte, le principe de l’unité de la matière ne s’appliquera ainsi, sur le plan fédéral, qu’à des violations manifestes de l’unité de la matière.
31 L’exemple type d’initiative inadmissible est l’initiative populaire « programme politique », à l’instar de l’initiative « contre la vie chère et l’inflation », qui prévoyait un paquet de mesures économiques
C. L’unité de la forme : l’interdiction des mélanges (al. 3)
32 Selon l’art. 75 al. 3 LDP, l’unité de la forme est respectée lorsque l’initiative est déposée exclusivement sous la forme d’une proposition conçue en termes généraux ou exclusivement sous celle d’un projet rédigé de toutes pièces.
33 Avec une proposition conçue en termes généraux, l’autorité législative est chargée d’élaborer un projet qui concrétise l’objectif de l’initiative, alors que le projet rédigé de toutes pièces contient déjà un texte rédigé et intouchable par les autorités
34 Cette disposition n’appelle ainsi guère de développement. Elle pose en effet le principe du choix entre un texte entièrement rédigé ou une proposition conçue en terme généraux. Elle interdit le mélange entre les deux possibilités.
35 La doctrine relève qu’une violation de l’unité de la forme n’est guère envisageable concrètement car la proposition formulée en termes généraux est très large. Ainsi, même un texte précis peut être qualifié de la sorte. La seule hypothèse envisagée est celle d’un texte qui « contienne à la fois des éléments qui ne peuvent être que définitifs et d’autres qui ne peuvent pas l’être, au regard de leur degré de perfection légistique »
36 L’Assemblée fédérale n’a invalidé une initiative pour violation de l’unité de la forme qu’une fois, en 1955 lorsqu’elle a déclaré nulle l’initiative « pour la réduction temporaire des dépenses militaires (trêve de l’armement) », au motif qu’elle concernait plusieurs années budgétaires. La doctrine relève toutefois qu’il ne s’agissait nullement d’un problème d’unité de la forme
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